Un jour de congé supplémentaire, sans formulaire complexe, sans renégociation de contrat, et parfaitement légal ? Oui, c’est possible : ce sont les fameux jours de fractionnement. Ce mécanisme, inscrit dans le Code du travail, permet à de nombreux salariés de bénéficier, chaque année, de congés supplémentaires, à condition de respecter quelques règles simples mais souvent méconnues.
Contrairement à certaines idées reçues, les jours de fractionnement ne sont ni réservés aux cadres ni limités à la fonction publique. Tout employé du secteur privé, à temps plein ou partiel, peut en profiter si son congé principal (au moins 20 jours ouvrables) n’est pas pris entièrement entre le 1er mai et le 31 octobre. Ce fractionnement du temps de repos ouvre alors droit à 1 ou 2 jours supplémentaires, selon le nombre de jours posés hors période légale.
Chaque salarié acquiert en principe 2,5 jours ouvrables de congés payés par mois de travail effectif, soit 30 jours ouvrables pour une année complète. Mais au-delà du simple calcul, encore faut-il comprendre comment sont attribués ces jours, quelles sont les conditions à remplir, les possibilités de report, les règles de renonciation, ou encore les spécificités prévues par accord d’entreprise, convention collective, ou usage.
Le sujet est d’autant plus important qu’il touche directement à la gestion du temps de travail, à la planification RH, à la qualité de vie au travail, et parfois même aux relations sociales au sein de l’entreprise.
Dans cet article, nous allons analyser en profondeur les modalités d’attribution, les cas particuliers, les exemples concrets de calcul, et les impacts juridiques de ce dispositif encore trop souvent mal appliqué. Que vous soyez employeur, responsable RH, ou salarié soucieux de vos droits, cette lecture devrait lever bien des zones d’ombre.
Le jour de fractionnement : une mesure légale encore trop méconnue
Dans l’univers millimétré du temps de travail, chaque jour de congé est à la fois une respiration bienvenue et un droit strictement encadré. Et pourtant, il existe un dispositif que beaucoup de salariés ne réclament jamais – faute d’en connaître l’existence : le congé de fractionnement. Ce mécanisme, bien qu’inscrit dans la loi (Article L3141-19 du Code du travail), reste parfois ignoré des employeurs eux-mêmes. Il concerne uniquement les 20 premiers jours ouvrables du congé principal, posés entre le 1er mai et le 31 octobre.
Le principe est simple : lorsqu’un salarié ne prend pas l’intégralité de son congé principal durant la période légale de référence, il peut obtenir jusqu’à deux jours supplémentaires de repos. Ces jours viennent s’ajouter au solde habituel, sans impact sur le compte de congés payés acquis, et sont considérés comme des droits à part entière.
Un droit rattaché au fractionnement du congé principal
Le fractionnement, dans ce contexte, ne fait pas référence à un éparpillement désorganisé du temps libre, mais à une répartition du congé principal (c’est-à-dire les 20 premiers jours ouvrables) en plusieurs périodes non continues. La période légale pour poser ces jours s’étend du 1er mai au 31 octobre. Lorsque ce congé n’est pas pris en totalité durant cette période, le salarié a droit de recevoir 1 ou 2 jours supplémentaires, en fonction du nombre de jours fractionnés.
Ce dispositif repose sur une logique de protection de la santé : un congé continu est jugé plus réparateur qu’un congé fragmenté. L’État, via le Code du travail, a donc prévu cette compensation, avec des ajustements possibles par convention collective, accord d’entreprise, ou usage reconnu.
Une mesure prévue par la loi, mais adaptable par accord
Si le droit au fractionnement est prévu dans les textes généraux, il peut toutefois être aménagé. Certaines branches professionnelles ou secteurs ont prévu des clauses spécifiques dans leurs conventions collectives. C’est le cas notamment dans le BTP, la fonction publique hospitalière, ou encore la branche Syntec, où le droit est soit intégré de manière automatique, soit ajusté en fonction de la structure de l’entreprise.
Il est aussi possible de renoncer volontairement à ces jours, mais uniquement sous certaines conditions. La renonciation doit être formalisée par écrit, librement consentie, et ne peut jamais être présumée.
Ce que le jour de fractionnement n’est pas
On confond parfois le jour de fractionnement avec d’autres dispositifs. Il ne s’agit :
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Ni d’un jour RTT (lié à une réduction du temps de travail hebdomadaire)
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Ni d’un jour de congé lié à l’ancienneté
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Ni d’un jour de récupération (lié à une heure supplémentaire ou à une fermeture exceptionnelle)
Le jour de fractionnement est une entité juridique distincte, strictement rattachée à la répartition des jours du congé principal au sein de l’année de référence.
Une logique d’équité dans la gestion du temps
Accorder un jour de repos supplémentaire à un salarié qui n’a pas pu profiter de son congé principal dans la période estivale classique n’a rien d’un privilège. C’est une forme de reconnaissance de la souplesse organisationnelle à laquelle il a consenti, souvent dans l’intérêt de l’entreprise. Il est donc fondamental que ce droit soit connu, appliqué, et, si besoin, vérifié par le salarié lui-même auprès de son service RH.
Conditions d’attribution : qui peut bénéficier de jours de fractionnement et sous quels critères ?
L’accès aux jours de fractionnement repose sur un principe fondamental : le respect de certaines conditions, clairement définies par la loi, mais dont l’application peut varier selon le secteur d’activité, le type de contrat, ou encore les accords collectifs en vigueur. Comprendre les critères d’éligibilité est essentiel pour s’assurer que ce droit est bien respecté – ou activé lorsque les conditions sont remplies.
Un dispositif universel… sous réserve d’exception
En principe, tout salarié du secteur privé, quel que soit son temps de travail (temps complet ou partiel), peut bénéficier des jours de fractionnement, à condition :
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d’avoir acquis au moins 20 jours ouvrables de congés payés au titre de l’année de référence ; en cas d’année incomplète ou d’embauche en cours d’année, ce seuil peut être proratisé selon la durée de travail.
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de ne pas avoir posé la totalité de ces jours entre le 1er mai et le 31 octobre inclus ; et, pour les agents publics, selon des seuils spécifiques (par exemple, 5 à 9 jours hors période = 1 jour, 10 jours ou plus = 2 jours).
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de ne pas avoir signé de renonciation écrite à ce droit. La renonciation doit être expresse, écrite, et ne peut résulter d’un silence ou d’un oubli.
La mesure concerne aussi bien les salariés en CDI, en CDD, en contrat intérimaire, ou même en apprentissage, à condition que leur compteur de congés atteigne ce seuil de 20 jours. Ce point est souvent mal interprété par les entreprises, qui omettent d’attribuer les jours de fractionnement aux employés en fin de contrat, alors qu’ils y sont légalement éligibles si les conditions sont réunies.
Le cas des salariés à temps partiel ou à durée réduite
Un salarié à temps partiel a les mêmes droits qu’un salarié à temps plein, à condition que le nombre de jours ouvrables acquis atteigne 20. Si c’est le cas, il entre dans le champ d’application du fractionnement, sans proratisation particulière du droit. Cela s’explique par le fait que les congés sont calculés en jours ouvrables, indépendamment du volume horaire hebdomadaire.
Attention toutefois : certains accords collectifs peuvent prévoir des modalités spécifiques d’application pour les temps partiels annualisés ou pour les salariés sur des forfaits jours.
Les agents de la fonction publique : un cas à part
Dans la fonction publique territoriale ou hospitalière, le droit au fractionnement existe également, mais avec des modalités différentes. Un agent public peut obtenir :
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1 jour de fractionnement s’il a posé entre 5 et 9 jours de congés en dehors de la période légale ;
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2 jours de fractionnement à partir de 10 jours fractionnés.
Ces règles ne figurent pas dans le Code du travail, mais sont issues de circulaires ou de notes de service internes, régulièrement mises à jour par les DRH des collectivités. Il est donc important, pour les agents territoriaux ou hospitaliers, de consulter les instructions spécifiques de leur employeur public.
Les cas d’exclusion ou d’aménagement par accord collectif
Un salarié peut perdre son droit à jours de fractionnement dans deux cas précis :
1. S’il renonce expressément à ce droit via une mention écrite (par exemple lors d’un accord sur le planning de congés).
2. Si un accord collectif (de branche ou d’entreprise) supprime ce droit ou le remplace par un dispositif équivalent (prime de fractionnement, RTT compensatoire, etc.).
La renonciation tacite (le silence du salarié) n’est jamais valable juridiquement. Seule une déclaration explicite, rédigée et signée, peut entraîner la non-attribution des jours supplémentaires.
Certaines conventions collectives fixent également une date limite au-delà de laquelle le droit ne peut plus être exercé. C’est pourquoi les services RH doivent vérifier chaque année, avant le 31 décembre ou 30 avril, si des salariés ont acquis ce droit sans l’avoir utilisé.
Cas particuliers à surveiller
Voici des situations fréquentes où le droit au fractionnement peut s’appliquer, même si cela ne paraît pas évident :
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Maladie ou arrêt de travail durant l’été : si le salarié reporte une partie de ses congés au-delà d’octobre, il remplit la condition.
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Congé maternité ou paternité durant la période légale : idem, si les congés principaux sont pris en novembre ou décembre, les jours de fractionnement sont attribués.
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Refus d’octroi de congés par l’employeur entre mai et octobre : le salarié ne peut être pénalisé, le droit s’applique.
Une obligation de l’employeur, un droit pour le salarié
Le jour de fractionnement n’est pas une faveur. Il s’agit d’un élément du droit du travail, avec une obligation d’application pour l’employeur dès lors que les conditions sont remplies.
En cas de litige, les prud’hommes considèrent que l’absence d’attribution constitue un manquement, notamment si aucune information claire n’a été transmise aux salariés sur leurs droits. Le service RH doit donc veiller à l’information régulière du personnel, notamment à l’approche de la fin d’année.
Attribution des jours de fractionnement : règles et exemples
La méthode de calcul des jours de fractionnement repose sur un principe simple, mais encore souvent mal appliqué. Lorsqu’un salarié ne prend pas l’ensemble de ses 20 jours ouvrables de congé principal entre le 1er mai et le 31 octobre, il peut se voir attribuer un ou deux jours supplémentaires, selon le nombre de jours fractionnés au-delà de cette période.
Barème de référence
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3 à 5 jours ouvrables pris après le 31 octobre → 1 jour de fractionnement
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6 jours ou plus → 2 jours de fractionnement
Seuls les congés payés relevant du droit légal (les 20 premiers jours ouvrables) sont pris en compte. Les RTT, jours de récupération, ou de congés conventionnels ne sont pas inclus dans ce calcul. Certaines conventions collectives ou accord de branche peuvent toutefois adapter ce barème.
Exemples simples
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15 jours en août + 5 jours en novembre = 1 jour supplémentaire
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10 jours en juillet + 10 en décembre = 2 jours
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25 jours entre mai et septembre = aucun jour de fractionnement, car tout est pris dans la période légale
Ces jours peuvent être posés dans les mois qui suivent, voire reportés si la convention collective ou l’usage interne le permet. Il est toutefois recommandé de les utiliser avant la fin de l’année suivante.
Suivi et attribution
L’employeur est tenu de vérifier les conditions d’attribution et d’en assurer le suivi. En cas de doute, le salarié peut demander à consulter son compteur de congés et faire une demande écrite pour formaliser la prise ou la régularisation. Lorsque le système n’est pas automatisé, une demande du salarié peut être nécessaire, notamment pour éviter une perte de droit par oubli ou erreur. La renonciation à ces jours doit, quant à elle, être formelle et ne peut jamais être implicite.
Cas particuliers, conventions collectives et risques de non-attribution
L’application des jours de fractionnement peut varier selon le secteur d’activité, la convention collective, ou la situation personnelle du salarié. Dans certains cas, le droit s’exerce automatiquement ; dans d’autres, il peut être adapté, suspendu, voire supprimé par un accord collectif. Une bonne connaissance de ces particularités permet d’éviter les erreurs d’interprétation – et les contentieux.
Cas particuliers fréquents
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Temps partiel : le droit s’applique sans proratisation, dès lors que le nombre de jours ouvrables acquis atteint 20.
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Arrêt maladie, maternité ou paternité : si les congés sont reportés au-delà du 31 octobre pour cause d’absence, le droit au fractionnement est maintenu. De même, en cas de report de congés pour cause d’arrêt maladie ou maternité, le droit au fractionnement doit être respecté, même si la prise effective intervient hors de la période.
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Télétravail : aucune incidence. Le fractionnement dépend uniquement de la période de prise des jours, non du mode de travail.
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Fin de contrat : les jours de fractionnement peuvent être intégrés dans le solde de tout compte, à condition que les critères soient remplis avant la date de départ.
Conventions collectives et accords d’entreprise
Certaines conventions prévoient des adaptations :
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Syntec : attribution automatique selon les modalités internes.
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BTP : les caisses de congés peuvent intégrer les jours de fractionnement dans leur calcul global.
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Fonction publique territoriale et hospitalière : attribution spécifique pour les agents, avec seuils de déclenchement adaptés (ex. : 5 jours hors période = 1 jour ; 10 jours = 2 jours).
Ces ajustements sont légitimes, à condition qu’ils soient précisés par écrit dans l’accord ou la convention. L’employeur ne peut pas décider unilatéralement de supprimer ce droit.
Risques en cas de non-attribution
Oublier d’accorder les jours de fractionnement lorsqu’ils sont dus constitue une violation du droit du travail. Le salarié peut exiger une régularisation rétroactive, voire engager une procédure prud’homale. Les jurisprudences récentes confirment que l’absence de renonciation explicite rend l’attribution obligatoire.
Il appartient donc aux services RH de :
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Contrôler les compteurs et périodes de pose
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Informer les salariés de leurs droits
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Tracer les éventuelles renonciations par écrit